Quelques minutes d’infini

 

Dans son recueil Fragments verticaux (traduit de l’espagnol par Silvia Baron-Supervielle), Roberto Juarroz présente quatre parties dont il me plaît souvent de relire la deuxième, intitulée “Presque poésie” et qui propose 205 textes.

J’ai envie de partager ici les numéros 166 et 167 qui résument assez bien l’ambiguité de toute position artistique, pour peu que la question existentielle soit à l’ordre du jour :

Après avoir écrit un poème, on ne ressent pas forcément de la joie, mais, oui, un étrange calme ou une tranquillité. Quelle dette s’est-elle acquittée en l’écrivant ? Quel intime engagement s’est-il accompli ? Quelle errante intensité a-t-elle pénétré pour un moment ces mots ?”

“Ne pas se donner de l’importance ni ne se prendre trop au sérieux contribue à supporter l’inanité du rôle de chacun dans l’univers, l’humanité, la somme d’écriture. Se prendre complètement au sérieux ne correspond pas à la réalité, et nous situe dans l’inconfortable et impossible désir de faire sauter cet absurde univers. Absurde au moins pour l’homme, s’inventerait-il toujours des palliatifs. Or, ne jamais se prendre au sérieux nous conforte au risque de tout abandonner ou de nous abandonner. Alors écriture ou poésie n’ont pas davantage de sens. Une autre clé serait possible : ne pas prendre au sérieux l’univers (l’homme inclus).”

Tout comme la poésie n’a pas de frontières, l’infini par définition ne supporte aucune limite. L’univers que nous souhaitons le plus rationnel possible pour survivre à d’éventuelles angoisses, se découvre peu à peu chaque jour, au gré de la science.

L’expansion (ici, celle, réelle, de l’univers) est une notion d’autant plus vertigineuse que notre vie se limite à quelques minutes. Quelques minutes d’infini. Du moins que nous imaginons comme telles.

En réalité, c’est le fait de nous savoir finis qui déclenche une éventuelle quête de sens. Le chemin revêt alors des mots, des couleurs, des sons, ou divers matériaux, pour, à défaut d’avoir créé l’univers, créer une illusion d’éternité.

Lâcher des ancres pour rassurer nos consciences peut-être. Sachant pertinamment que rien ne dure, essayer de passer le temps à croire le contraire, à intensifier le beau, à limiter les dégâts des circonstances.

Tellement plus simple de se rattacher à ce que l’on connaît : la lune, les éléments naturels environnants, le végétal, l’animal, le minéral, les idées philosophiques ou bien le plaisir du divertissement élémentaire.

Mais Roberto a tout compris.

 

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