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Certains sans le savoir agissent comme les homards mâles au fond d’une casserole : se sachant pris au piège, chacun décide de grimper la paroi coûte que coûte pour en réchapper, quitte à écraser son voisin.*

D’autres nous livrent leur vision du monde : ainsi le 1er mai, Bret Easton-Ellis, interviewé via l’émission La Grande Librairie (à 1h02min), dit à un moment :
Tout est très explosif aujourd’hui, les gens sont en colère, le monde est sanguin…

Anecdote
Il se trouve que ma petite voiture me donnait quelques signes de faiblesse récemment. C’est ainsi que je calais au beau milieu d’une avenue sans pouvoir immédiatement redémarrer. Je roulais justement vers mon garagiste écolo (sic), non loin de là.

Or, ne pas avancer avec le troupeau au beau milieu d’un centre ville, qui plus est un vendredi soir à 17h – à 20 mètres d’un croisement de feux névralgique –, relève soit de la rébellion, soit du mouton noir. Les deux notions peuvent d’ailleurs se rejoindre.

À aucun moment, une figure humaine eut pu imaginer que je sois en panne.

Au lieu de cela, j’eus affaire à un concert de klaxons, puis à deux hommes en colère, ceci dans les 30 secondes à une minute, le temps que je réagisse, que j’appelle mon garagiste me conseillant de déclencher mon assureur… (j’avais mon portable à l’oreille, mais à l’arrêt et avec mes warnings).

Un passant me proposa de pousser ma totote sur la voie de droite, au plus près du trottoir (à l’origine je devais tourner à gauche, d’où calage voie de gauche). Merci. Mais celui-ci me poussa jusque devant une sortie-entrée de véhicules (nous ne sommes visiblement pas semblables en termes de neurones). Le temps que je lui demande de pousser deux mètres de plus, il était déjà parti, tout satisfait de sa bonne action du jour.

Évidemment, dans la foulée, un habitant de l’immeuble souhaita rejoindre son parking via l’entrée devant laquelle “on”, par gentillesse, m’avait poussée sans que je n’ai eu le temps de dire ouf. Une aide peut parfois s’avérer contre-productive.

Au lieu de m’aider, ce monsieur commença par revendiquer son droit d’accès d’un ton ferme. Lui expliquant aussitôt que je n’avais pas choisi cet emplacement, mais que l’on m’avait poussée jusque-là, que je comprenais et que j’étais désolée, il me crut, mais continua à maugréer, cette fois sur le dos du fautif virtuel (le passant déjà loin). Je crois même avoir entendu le doux adjectif de “crétin”.

Dès que cet habitant eut poussé mon quatre roues, la première de mes actions fut de sortir mon triangle rouge du coffre (tout neuf, tout brillant) pour le placer à dix mètres en amont.

Mais à peine eus-je le temps d’ouvrir la porte de mon véhicule pour m’y employer, voici qu’un nouveau primate arrivait déjà à la hauteur de ma vitre. Alors que j’étais toujours au téléphone détaillant à une boîte vocale où le dépanneur pouvait me localiser, ce bipède, tout transpirant de sa journée, me parla sur un ton que je qualifierais de “sanguin” (merci Bret).

Me voyant avec mon téléphone, et malgré mes warnings, il vociféra des propos qui semblaient indiquer que son désir le plus cher était que je me pousse. Il me vomit verbalement dessus comme si j’étais fautive de lui faire perdre deux minutes sur son parcours (alors qu’il aurait pu aisément passer par la voie de gauche en mettant son clignotant).

Au bout d’un certain temps – car il n’arrivait pas à entendre ce que je lui répétais gentiment tant il haussait le ton –, il comprit que ma batterie, ou autre chose peut-être**, faisait que je ne pouvais pas redémarrer. Et que je ne m’étais pas arrêtée simplement pour passer un appel perso. Il se calma.

À ce stade, je dois avouer une récurrente naïveté de ma part, pensant que cet homme était sorti de son propre véhicule pour m’aider… Avec le recul, je crois même que si je lui avais répondu avec les mêmes formes, la mayonnaise aurait pu monter jusqu’à une action physique de sa part.

Je ressentis ce bref échange comme une communication aggressive sinon surréaliste, alors que je lui répétais que j’étais au téléphone avec mon assurance. L’on pouvait d’ailleurs bien s’apercevoir que je n’étais pas là par insouscience ou plaisir de m’amuser.

L’égocentrisme du consommateur dans toute sa splendeur qui, pour une infime contrariété momentanée, se montrera non pas solidaire, mais agressif, sans essayer de se mettre à la place de celui à qui un aléa peut arriver.
L’empathie n’est pas l’apanage de tous. La société a poussé à cette déroute.***

Cela étant, le résumé que fait Anémone – partie trop tôt cette semaine – est éclairant et d’une évidence sinon drôlissime du moins désespérante sur le monde. À écouter ici.

Incongruité ou choc des cultures, l’asociabilité n’est pas toujours garée à l’endroit où on l’attend.

 

* Chez les homards femelles, c’est l’inverse : quand elles sentent qu’elles sont foutues, elles se la jouent solidaires, elles s’empêchent les unes les autres de grimper, se plaquant toutes au fond, histoire de dire “quitte à crever, on crèvera ensemble”.

** Finalement, c’étaient les bougies.

*** En revanche, le dépanneur déclenché par mon assureur arriva très vite et fut très sympa, de même que mon garagiste. Comme quoi, on peut toujours garder espoir. Enfin si l’on évite de penser qu’en réalité, je paie ces sous-traitants pour faire le job…