Ce matin, je me demandais ce que je pouvais bien publier dans ce journal vaguement discipliné.
Aspirant à une condition d’inspiration – même s’il ne faut rien attendre –, j’ouvre alors mon coffre à poésie et commence d’en sortir, un par un voire deux par deux, tous les recueils empilés.
Rien à faire, tournant, retournant les pages de chaque livre, je cherche un thème en lien avec la nature, la Nature. Il y a bien des descriptions d’une touchante simplicité dans les haïkus de Chiyo Ni, mais rien qui puisse me provoquer, aujourd’hui en tout cas, un frisson du cœur.
La journée prend tournure, et puis je tire ce tout dernier, au fond : « Sphère », d’Eugène Guillevic. En voilà un dont les mots ne cessent de me parler.
Impossible de dire si le fait d’avoir grandi dans son paysage, de m’être assise sur les mêmes rochers usés, d’avoir foulé de semblables horizons, influe sur ce que je ressens aux vers de Sphère, suivi de Carnac, mais cette poésie si simple, si puissante – au point qu’à côté, les descriptions spiritualo-paysagères de certains contemporains me semblent soufreteuses –, continue de me toucher année après année.
Cet homme écrivait ce qu’il ressentait, c’est-à-dire ce qu’il respirait. Un roc de sensibilité cousue sur un amour pour un paisse et sa quintessence, universellement déposée là comme une seiche à marée basse.
Seul le solen dans la vase faisant soudain surface en silence, attiré par le sel, lui arrive à la cheville.
Face aux visages du monde arborant un déni de la nature, la sphère bleue étouffe. Alors se lève un poète intemporel.
In Sphère (NRF, poésie Gallimard), page 59 :
» Je m’aménage un lieu
Avec ce paysage
Assez lointain pour être
Et n’être que le poids
Qui vient m’atteindre ici.
J’émerge de ce poids,
Je m’aménage un lieu
Avec ce paysage
Qui tournait au chaos.
Dans ce qu’il deviendra
Je suis pour quelque chose.
Peut-être j’y jouerai
Des bois, des champs, de l’ombre,
Du soleil qui s’en va.
J’y régnerai
Jusqu’à la nuit. »